L'animal que donc je suis


Impressions encres pigmentaires sur papier coton, lettre manuscrite,
document photocopié, laisse de chien, graphite sur mur,
couverture militaire marron en laine, poils de chien,
240 x 800 cm







*2010-2015
: : "Je suis un animal mais je te respecte."


L'installation se présente au regard comme une bribe d'histoire. Elle rend hommage à un homme échoué sur les rives politiques de l’Europe. Migrant sans toit ni papiers, son nom de rue est Papillon. Il vit en solitaire à l’écart des groupes, s’éclipse la journée puis revient mendier en ville le soir. Son chien, le grand Vagabond, donne aux yeux de son maître un sens à sa vie. L'un ne quitte jamais l'autre. Ces dernières années, Ahmed Achhoud dit Papillon a vécu essentiellement en Algérie, en Suisse et en France. Il a connu deux expulsions vers son pays natal le Maroc, et en est reparti chaque fois par Gibraltar. Le 5 avril 2011, il fut expulsé par bâteau, loin de son chien, pour un ultime retour. Dans l'installation, une image du Centre de Rétention Administrative et une photo d'identité dégradée, photocopiée d'une carte de séjour périmée, côtoient les médailles de marathonien qu’il était.
Dans un parcours chaotique, le chien apparait comme un point de repère, une corde à laquelle se retenir. Une personne peut être plus que rejetée physiquement, géographiquement ou matériellement ; son exclusion constitue une dégradation et procède sournoisement par ruptures de sens. La question surgit : qui sommes-nous si l'autre ne nous reconnait pas ?
Homère écrit dans L'Odyssée le retour d'Ulysse après vingt ans d'absence auprès des siens. Déguisé en mendiant, personne ne le reconnait excepté son chien, Argos. Ce dernier meurt sur le moment ému par l'apparition de son maître. Par de nombreux récits, les animaux sont ancrés dans notre passé. Ils évoquent en nous des émotions allant de la fascination à la crainte. « Je suis un animal mais je te respecte » : cette violente parole de Papillon est ici intérieurement reliée à un texte, publié à titre posthume, de Jacques Derrida : L'animal que donc je suis. Ce titre qui joue de l’ambiguïté du verbe conjugué – être et suivre à la fois – évoque un moment vécu par l’auteur, qui constitue le point de départ de ce livre : une expérience de nudité honteuse devant un animal. A partir de là, Derrida développe une pensée sans présomptions qui nourrit une autre conception du vivant, développe une interrogation sur le langage, aborde la question du rapport de pouvoir entre dominant et dominé. Les regards portés sur l'altérité mettent en jeu la dignité. Dans l'installation, la nudité est omniprésente – le torse nu, tatoué, la couverture rêche, brute et imposante, les poils du chien, entrent en résonance, esquissent des confusions, donnent forme à des interrogations, elles aussi porteuses d’ambiguïtés.


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